📋 Introduction
Dans le débat public français contemporain, l'argument selon lequel « une femme est agressée sexuellement toutes les 2 minutes 30 » est régulièrement cité par des responsables politiques, des associations féministes, des journalistes ou encore dans des campagnes de sensibilisation. Cette donnée est devenue un élément central du discours dominant sur les violences faites aux femmes, souvent reprise sans contextualisation, ni examen critique de sa méthodologie.
Or, il s'avère que ce chiffre repose sur une extrapolation très approximative, issue d'enquêtes de victimation aux définitions larges, dont la portée et la représentativité sont souvent mal comprises du grand public.
🔍 I. Origine du chiffre : une extrapolation statistique fondée sur des déclarations anonymes
Le chiffre « une femme toutes les 2 minutes 30 » provient principalement des enquêtes annuelles Cadre de vie et sécurité (CVS) menées par l'INSEE et le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI). Ces enquêtes reposent sur des questionnaires auto-administrés dans un contexte anonyme, sans enquête judiciaire ni plainte formelle.
📊 Données de référence :
« Chaque année entre 2011 et 2018, en moyenne, 553 000 personnes âgées de 18 à 75 ans ont déclaré avoir été victimes de violences sexuelles dans les deux années précédant l'enquête. Parmi elles, 86 % sont des femmes. »
Source : SSMSI, Interstats Dossier n°48, 2020, p. 7
Sur cette base, certaines ONG ou médias divisent ce chiffre par le nombre de jours, puis d'heures, pour aboutir à une estimation purement mécanique :
220 000 victimes féminines par an ≈ 600/jour ≈ 25/h → 1 femme toutes les 2 minutes 30
Ce calcul est mathématiquement juste, mais scientifiquement discutable, car il repose sur des hypothèses problématiques.
⚠️ II. Des catégories floues et une définition extensible des « violences sexuelles »
L'enquête CVS ne distingue pas uniquement les agressions sexuelles pénalement définies. Elle inclut :
- les violences sexuelles graves (viols, tentatives de viol, agressions avec contrainte) ;
- mais aussi des faits non-pénalisés ou ambigus : attouchements sans violence, drague insistante, regards jugés déplacés, propos à connotation sexuelle, etc.
📝 Méthodologie officielle :
« Le recueil porte sur les déclarations de victimes, indépendamment d'un cadre juridique. […] Il inclut les faits jugés comme tels par les répondants. »
Source : SSMSI, Interstats Méthode n°5, 2021, p. 6
Ainsi, le sentiment de malaise ou d'inconfort subjectif peut suffire à classifier un comportement comme « violence sexuelle ». Le seuil d'inclusion est donc extrêmement bas, et hétérogène selon les sensibilités individuelles.
🧠 III. Des données déclaratives, non vérifiées, et sujettes à de nombreux biais
Les enquêtes CVS sont déclaratives : elles ne s'appuient ni sur des dépôts de plainte, ni sur des décisions judiciaires, ni sur des preuves matérielles. Il s'agit d'un ressenti personnel, collecté dans un cadre confidentiel, sans validation externe.
Les biais potentiels sont multiples :
- Biais de mémoire (tendance à se souvenir ou oublier certains faits selon leur gravité ou l'époque),
- Biais de désirabilité sociale (pression à déclarer ou taire certaines expériences selon le contexte social),
- Redondance des faits : une même personne peut déclarer plusieurs événements distincts, comptabilisés séparément.
Le SSMSI lui-même rappelle que ces chiffres ne peuvent être assimilés à des statistiques pénales, car ils relèvent d'une logique de victimologie déclarative et non judiciaire.
⚖️ IV. Le contraste avec les données judiciaires réelles
Les chiffres issus des institutions judiciaires sont nettement inférieurs aux données des enquêtes de victimation.
📊 Données judiciaires 2023 :
- 26 000 plaintes pour viol enregistrées (femmes et hommes confondus)
- 57 000 plaintes pour autres agressions sexuelles
- Total : environ 83 000 signalements annuels
Source : SSMSI, Interstats Analyse n°50, 2024
Soit un total d'environ 83 000 signalements annuels, à comparer aux 220 000 cas supposés des enquêtes CVS.
Ce décalage massif reflète :
- la différence de méthode (déclaratif vs judiciaire),
- la dilution du concept de violence sexuelle dans les enquêtes,
- et une forme d'instrumentalisation politique de données émotionnellement impactantes.
📋 Conclusion : une affirmation à la portée idéologique plus qu'informative
Le chiffre selon lequel « une femme est agressée toutes les 2 minutes 30 » ne repose pas sur des faits judiciairement établis, mais sur une estimation déclarative floue, englobant toute une gamme de comportements allant du crime à l'interaction sociale mal perçue.
Son objectif est plus militant qu'analytique : créer un choc émotionnel, renforcer l'idée d'un danger systémique pour les femmes, et justifier des politiques publiques de contrôle et de rééducation sociale, souvent sans nuance.
Il est donc crucial que chercheurs, journalistes, et citoyens critiques différencient les données brutes, les interprétations statistiques, et les récits politiques construits autour d'elles.
📚 Sources
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📄 SSMSI, Interstats Dossier n°48, 2020
Lien vers le document
📌 Page 7 - Données sur les violences sexuelles déclarées -
📄 SSMSI, Interstats Méthode n°5, 2021
Lien vers le document
📌 Page 6 - Méthodologie des enquêtes de victimation -
📄 SSMSI, Interstats Analyse n°50, 2024
Lien vers le document
📌 Données judiciaires sur les violences sexuelles enregistrées